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Niland, ou quand la recommandation musicale passe un cap

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Le mois d’avril a vu éclore un petit nouveau dans la sphère du streaming musical. Tidal, au gré d’un partenariat choisi pour atteindre très aisément le consommateur de musique dite mainstream, propose un son de haute fidélité. Le projet, soutenu à bout de bras par le rappeur, désormais entrepreneur, Jay-Z, a suscité la mobilisation d’acteurs musicaux représentatifs du marché musical actuel : des têtes d’affiches connues, aux revenus astronomiques. Cette entrée en grande pompe d’un nouvel acteur du streaming audio fait état d’une métamorphose progressive du marché de la musique sur Internet. Le streaming a ouvert une brèche dans le panorama de la musique numérique, écartant peu à peu les traditionnels iTunes (Apple) et autres sites d’achats en ligne. Les chiffres sont parlants : le SNEP, Syndicat National de l’Edition Phonographique, estime la part du streaming dans le marché numérique en 2014 à 55% contre 40% pour le téléchargement.
Ces changements d’importance s’accompagnent d’une métamorphose générale dans l’appréhension de la musique et de son écoute sur Internet. Par là, on entend que les usagers découvrent et s’intéressent à une offre nouvelle et une expérience diversifiée.
Par exemple, Spotify, emblème du streaming musical sur Internet, valorisé à près de 8.4 milliards d’euros d’après le Wall Street Journal, dispose d’une plate-forme d’innovation importante : The Echo Nest, racheté en 2014, propose aux utilisateurs des recommandations personnalisées de titres musicaux, des méta-données enrichies et des segmentations d’audiences (pour cibler la publicité en fonction du type de musique écouté). En découle une série d’usages variés, passant du système de recommandation intégré à Spotify, à une utilisation plus vaste (http://the.echonest.com/showcase/) .

En France, une jeune start-up ambitieuse cherche à s’imposer dans le marché naissant de la reconnaissance musicale en proposant un fonctionnement original, basé non pas sur les statistiques que fournissent les utilisateurs dans leur comportement en ligne, mais plutôt en s’appuyant sur un algorithme, un moteur de reconnaissance établissant une comparaison des signaux dégagés par un morceau (instruments, rythme, timbre, etc.) pour trouver une track similaire, qui convient à l’usager. En bref, il s’agit là de dénicher un morceau par sa ressemblance musicale concrète. Ceci se fait à contre courant de la pratique qui vise à observer l’usager passer d’un artiste A à un artiste B en établissant ainsi une recommandation musicale discutable. Ce nouveau mécanisme offre des perspectives d’avenir appétissantes dont nous avons pu discuter dans les locaux parisiens de l’entreprise.

Niland est composé de sept passionnés, aux profils plutôt taillés pour l’informatique et l’ingénierie. Damien Tardieu et Christophe Charbuillet sont les deux fondateurs de l’entreprise, et se sont rencontrés à l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique). A partir de là, ils s’évertuent à travailler sur un algorithme qui sera le fondement du logiciel central de Niland : Siilar. L’algorithme évoluant, ils intègrent l’incubateur de start-up Agoranov, qui leur permettra d’aboutir à la formation d’une structure concrète qu’ils baptiseront Niland.
Dans un premier temps, l’entreprise se tourne plutôt vers les professionnels, en proposant ses services à des sites de vente de musique aux pros (library music, type Audio Network).
Mais le logiciel Siilar intéresse aussi les plateformes grand public de streaming notamment, si bien que le site 1D Touch en fait l’acquisition.
Cet outil perfectionné fonctionne via le site de streaming musical Soundcloud et permet d’effectuer une recherche prenant en compte des artistes peu connus ou naissants. Niland travaille sur la similarité musicale en tissant des liens entre différents artistes, permettant ensuite de suggérer des recommandations précises et pointues au consommateur.

La particularité du logiciel est sa possibilité de “digger”,  soit en d’autres termes de fouiller, de découvrir de nouveaux artistes perpétuellement en cherchant de manière automatisée sur le net. A partir de points d’entrée spécifiques, puis par l’utilisation des followers, le logiciel va chercher dans une base de donnée préétablie constamment alimentée, et va analyser des milliers de morceaux. A la différence du site The Echo Nest, qui travaille via un logiciel robot qui fouille le web par indexation et fonctionne grâce aux statistiques des artistes connus, Siilar, lui, effectue un filtrage qui ne se borne pas à la popularité d’un morceau, puisque le logiciel englobe les englobe tous, connus ou non. En fait, Siilar ne travaille pas par l’exploitation du BigData (il ne s’appuie pas sur les statistiques, le web-crawling) mais ne recherche que par le signal, en traitant les données sonores qui définissent le son et en les comparant à d’autres morceaux jusqu’à trouver quelque chose de similaire. On conçoit donc la puissance d’un tel moteur lorsqu’il s’agit de dénicher un musicien potentiellement talentueux.

Car en la matière, Siilar surpasse un système de découverte musicale en apparence bridé. Il déjoue un système qui se mord la queue : quand un artiste acquiert un minimum de célébrité, on investit sur son nom et il devient de plus en plus connu, les gens l’écoutent donc de plus en plus, il gagne en célébrité et ainsi de suite, troublant ainsi les perspectives d’un moteur de recommandation efficace. L’algorithme employé par les autres logiciels de recommandation est donc perverti par la popularité des artistes : trois artistes ayant un taux de popularité, sans avoir un genre particulièrement proche, peuvent être assimilé comme tel par le logiciel. Siilar établit lui un ratio écoute/like (via Soundcloud) alimentant son système de manière à faire figurer en priorité les morceaux ayant eu le plus de like par rapport à son nombre d’écoutes. La recherche par signal permet de sortir de ce piège, tout en réinsérant dans la recherche les artistes peu ou non populaires.
Le travail des ingénieurs de Niland cherche à terme à créer une sorte d’intelligence artificielle propre à chaque utilisateur du logiciel, qui parviendrait à déterminer le profil de son usager pour lui proposer des morceaux à sa convenance par une recherche autonome.
En outre, Siilar est un logiciel qui apprends seul par la méthode du ”deep learning” consistant à effectuer une éducation du logiciel à partir d’exemples concrets : on y insère en entrée une représentation numérique en format mp3 et le logiciel propose en sortie un morceau qui lui ressemble. A plus grande échelle, les créateurs de l’API Siilar ont proposé une moitié de playlist  que le logiciel à su compléter de manière cohérente.

Avec un tel système, on peut imaginer que Siilar se positionnera très vite en acteur majeur du marché neuf de la recommandation musicale. Présent au festival SXSW de cette année pour présenter son projet, Niland semble en mesure de faire comprendre à ses usagers que, comme l’indique l’abréviation de son nom, No Song Is An Island.

Julien Demaria, Timothée Suillaud

Vous pouvez dés maintenant rejoindre la béta de l’application Scarlett, réalisée par Niland : http://scarlett.fm/

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